Dans la rencontre avec la maladie d’Alzheimer, il peut y avoir
L’orthophoniste apporte à travers ses outils de remédiation cognitive et sa communication bienveillante un soutien thérapeutique et humain.
Après avoir vu sa vie être bouleversée, un aidant bien accompagné reprend pied dans sa vie à travers une expérience profondément résiliente.
A travers cette interview, il est question de croiser un double regard sur la maladie d’Alzheimer et d’observer ce qui émerge
D’abord un regard de professionnel, qui cherche à comprendre ce que la maladie entraîne chez ces personnes au quotidien, comment cela impacte la qualité de vie de toute une structure familiale, et comment, en tant que professionnel on peut chercher à améliorer la qualité de vie de ces personnes et de leurs proches en agissant sur la communication, et ce quel que soit le degré de sévérité de la maladie.
Cela a été beaucoup de souffrance au début, lorsque le diagnostic de la maladie est tombé pour ma mère, puis pour mon père, parce que ce sont mes êtres chers. Voir ses parents s’éteindre physiquement, mentalement et psychologiquement, c’est très dur. Je ne les reconnaissais plus.
Le but est, une fois le diagnostic de maladie d’Alzheimer posé et le profil cognitif du patient déterminé à l’aide du bilan de la communication, de construire un projet thérapeutique avec le patient et son aidant afin de maintenir la communication fonctionnelle, la communication dans sa vie quotidienne, le plus longtemps possible et agir ainsi sur la qualité de vie du patient.
Le projet thérapeutique repose sur plusieurs outils :
Du bilan de la communication effectué à l’aide d’outils propres aux orthophonistes, émergent :
Pour cela, l’orthophoniste va chercher à comprendre les habitudes de vie de la personne, en termes de communication, en évaluant des habiletés comme la capacité à communiquer avec autrui, à écrire une lettre, à répondre au téléphone… qui sont des habitudes de vie qui permettent l’autonomie de la personne.
Dans ce processus, il est essentiel d’amener les personnes proches aidantes, qu’ils soient familiaux ou professionnels à comprendre l’impact de leur propre communication non verbale pour améliorer l’interaction avec les malades.
Par exemple, accompagner l’aidant dans sa communication émotionnelle à travers des jeux de guidance afin de prendre conscience de la façon dont il communique avec son proche touché par la maladie, qu’il fasse attention à sa posture, à sa voix, à sa communication non-verbale.
Le rôle de l’orthophoniste est de donner des clés aux aidants pour continuer de communiquer avec leur proche, quel que soit le degré de sévérité de la maladie.
Cet accompagnement progressif de la personne touchée par les troubles neurocognitifs du vieillissement et de son aidant a pour but de préparer tout doucement la mise en place d’une communication adaptée, qui à un stade plus avancé de la maladie, sera essentiellement émotionnelle et non verbale.
Il est essentiel de maintenir la personne dans un statut d’individu communiquant, et ce quelle que soit la manière de communiquer.
Lorsqu’il y a maintien de la communication, il y a diminution des problématiques comportementales ce qui améliore la qualité de vie au quotidien.
Je suis présente, je gère toute la logistique qu’il y a autour de mon père aujourd’hui, mais je ne suis plus capable d’intervenir moi-même, ce que j’ai fait au début et qui m’a valu un burnout.
Ma chance a été de rencontrer mon mari, Christian qui a travaillé en EHPAD pendant 11 ans avec des malades d’Alzheimer.
Il est collectionneur d’”objets lontan”, des objets anciens qu’utilisaient les personnes âgées à La Réunion, comme le moulin à café à la main ou le bertel..
Il s’est rendu compte que l’objet lontan “détaké” (déliait) la parole du gramoune, qui est dans sa bulle, qui a des problèmes de communication.
L’objet devient un prétexte pour communiquer avec ces personnes.
L’Alzheimer, c’est ça en fait, ce sont des problèmes de communication. Le malade ne communique plus vers l’extérieur. Il se renferme au fur et à mesure de la progression de la maladie.
Dans leur bulle, les journées se répètent, ils s’installent dans une routine.
Le maintien de la vie sociale et la mise en place d’une communication adaptée.
Pouvoir bénéficier de toute l’aide qui existe en ce moment : infirmiers à domicile, orthophoniste et tout le personnel à disposition pour la famille.
Pour l’aidante que je suis, il m’a été très important de ne pas rester seule. Dès que j’ai contacté l’Association France Alzheimer, j’ai pu bénéficier du soutien d’un psychologue, d’un groupe de parole.
Les échanges sont riches dans les groupes de paroles. Il y a une forte solidarité, une complicité qui s’installe naturellement car le vécu des aidants est le même.
Je me suis rendue compte qu’être au contact des gens qui ont traversé la même chose que moi, c’est génial, je me sens comprise dans ce que je vis dans mon quotidien parce que je suis entourée de personnes qui vivent les mêmes choses.
Le plus difficile est peut être la question de l’ajustement c’est à dire qu’il faut pouvoir travailler avec ces personnes sans que cela soit infantilisant, ou encore trop facile ou encore trop difficile, ce qui nuirait à leur propre estime personnelle, et pourrait être assez angoissant voire générer la perte d’adhésion au projet thérapeutique.
Trouver le juste niveau, c’est permettre de travailler sur ce qui est encore disponible pour le maintenir le plus longtemps possible.
Je suis passée par plusieurs phases.
Lorsque le diagnostic est tombé pour ma mère, je me suis retrouvée toute seule, à gérer ma maman, avec un papa (pas encore malade) dans le déni.
J’ai appelé la famille à l’aide en leur disant qu’il fallait faire appel à des spécialistes, qu’il fallait mettre en place un protocole, toute une logistique autour de ma mère et cela ne s’est pas fait, toutes les portes se sont fermées.
Ma mère s’est retrouvée seule, livrée à elle-même et la maladie s’est drôlement accélérée.
Et je pense ne pas être la seule à traverser ce genre d’épisode, parce que c’est une maladie invisible, il n’y a pas de coupures, il n’y a pas de pansements, il n’y a pas de tubes, on n’est pas à l’hôpital.
Et quand je parlais à ma mère, elle me donnait le change : “Mais je vais bien, je ne suis pas malade, mais qu’est ce que tu racontes…”
Heureusement que le médecin de famille et le neurologue étaient là. Ce sont des piliers. Le neurologue a posé le diagnostic, avec les tests, les questions…
Et quand le diagnostic est tombé, je suis allée voir sur Internet pour savoir ce qu’il fallait faire. J’ai vu qu’il fallait que je me fasse accompagner en tant qu ‘aidante.
Puis mon père est tombé malade, il s’en est rendu compte et il m’en a parlé.
A force de tout gérer toute seule, je ne me rendais plus compte des charges mentales et émotionnelles qui pesaient sur moi et j’ai fait un burnout. J’ai été arrêté pendant 6 mois et je me suis fait accompagner par une psychiatre.
L’aide a commencé à arriver pour mon père et ma vie a commencé à être plus légère.
C’est avant tout une rencontre. Je rencontre des personnes exceptionnelles, riches de leur expérience de vie. Le partage est immense. Et puis on rigole bien aussi. L’humour est thérapeutique. J’aime quand mes patients sortent de ma séance avec un grand sourire. Cela me suffit 🙂
Il faut être à l’affût des moments de conscience, des moments de lucidité. Il y a des confidences, des moments de câlins, il y a des moments de crise aussi.
Mais au final c’est beaucoup de bonheur.
Je retiens l’amour, parce qu’en fait, il n’y a que cela qui porte, que cela qui aide. Moi, c’est ce qui a été mon moteur. L’amour que j’ai pour mes parents, qui est complètement inconditionnel, et l’envie de les accompagner jusqu’au bout.
Aujourd’hui, je retrouve un papa gâteau, authentique, comme il est vraiment. Il est doux, il est chou, il est adorable, il est gentil.
Je reconnais son intelligence, sa répartie, son sens de l’humour. Tant qu’il y a cela, je me dis qu’il est encore vivant.
J’aimerais que notre société soit plus inclusive avec ces personnes âgées. Je leur dis toujours qu’il faut maintenir la vie sociale.
Mais où sont les lieux de vie pour leur permettre d’exercer leur vie sociale ?
Et pour certains, la crainte du regard de l’autre, les amène à s’isoler. Ce processus est renforcé par les problématiques d’hypo-activité qu’ils vont pouvoir rencontrer.
Soit je ne change rien, car je crois que c’est le karma, comme on dit, le chemin de vie.
Ou si j’avais eu une baguette magique, j’aurais fait de la psychogénéalogie plus tôt et j’aurais coupé les liens toxiques, les liens ancestraux qui peuvent conditionner les transmissions inter-générationnelles, des troubles non-résolus des ascendants de la famille à leurs descendants.
Dans le futur, mon mari Christian et moi souhaitons contribuer à l’amélioration de la vie des porteurs de la maladie d’Alzheimer et des aidants.
La maison que j’ai héritée de mes parents, je souhaite la transformer en lieu de vie pour les malades et en un lieu de répit pour les aidants.
Déjà avec l’Association France Alzheimer, une fois par mois, il y a des bénévoles, des malades et des aidants qui viennent à la maison. Ils se promènent dans le jardin, ils regardent les “objets lontan”, ils causent, ils plaisantent, ils rigolent… Et puis, nous faisons un repas-partagé, on passe une belle journée !
Je sens bien qu’il faut aider les malades, qu’il faut aider les aidants !
Ces deux parcours parallèles, de l’orthophoniste et de l’aidante font émerger la force résiliente l’humain. S’ouvrir à l’autre, malgré les difficultés de communication, trouver à chaque instant, un moyen de maintenir une communication vivante que l’on soit orthophoniste ou aidant.
Pour Sonia Michalon, orthophoniste, l’accompagnement d’une personne porteuse de troubles neurocognitifs est avant tout une rencontre avec des personnes exceptionnelles, riches de leurs expériences de vie.
Pour Ketty Carpaille, l’aidante, c’est une nouvelle rencontre avec son père qu’elle reconnaît comme authentique, intelligent, avec un humour et un sens de la répartie, encore très vivants.
L’orthophoniste Sonia Michalon met à jour le maintien essentiel de la communication fonctionnelle, la communication dans la vie quotidienne.
L’aidante Ketty Carpaille parle du vécu de son mari qui a trouvé dans “les objets lontan” de la vie quotidienne, une façon de créer du lien et de communiquer avec les malades d’Alzheimer, tout comme Sonia Michalon a pu trouver dans les plantes, un médiateur de communication auprès de certaines personnes.
C’est également une émotion commune qui ressort de ces témoignages. Pour Sonia Michalon, lorsque ses patients ressortent de sa séance avec un grand sourire, elle ressent de la joie !
Pour Ketty Carpaille, aidante, trouve dans les moments de conscience, de lucidité, de confidences, de câlins avec son père, beaucoup de joie.
La nécessité de trouver des lieux où s’exprime la vie sociale
Permettre aux personnes touchées par la maladie d’Alzheimer de maintenir une communication vivante, quelle qu’elle soit nécessite de trouver des lieux ont pourront s’exprimer la vie sociale de ses malades.
C’est le constat de Sonia Michalon
Ketty Carpaille, elle, offre une solution en mettant à disposition la maison de ses parents, une fois par mois à des personnes Alzheimer pendant une journée conviviale où la vie sociale est bien présente !
Partages, rigolades, plaisanteries, discours autour des “objets lontan” rythment la journée riche en communication.